Caroline Delieutraz
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Caroline Delieutraz use de matériaux présents en abondance dans notre société de l’information : les images et autres données qui, sans état d’âme, circulent dans le flux des réseaux électroniques mondiaux. L’origine de ces données, leurs conditions d’apparition dans l’espace public – Internet compris –, leur exploitation, leurs transformations et réutilisations successives, leur mort et leur renaissance sont au centre de son travail. Au quotidien, Caroline Delieutraz collecte toutes sortes de matériaux disponibles sur la toile, pour les manipuler et occuper, à sa manière, ce monde volatile en perpétuel mouvement. Si elle perpétue ce qui pourrait s’apparenter à l’effacement de l’ « original », notion toute relative dans le monde du copié-collé, il ne s’agit pas non plus de nier l’origine des données et le travail fait par d’autres. Au contraire, la provenance directe des images fait partie intégrante, signifiante, de l’œuvre. Extrayant les informations des dispositifs dans lesquels elle les trouve, Caroline Delieutraz crée des déplacements et des reconfigurations qui visent à remettre en cause l’autorité de ces images, devenues si familières qu’elles s’imposent à nous comme des évidences. Au sein d’une démarche qui saute sans arrêt du monde dit « virtuel » au monde dit « réel », les diverses formes du travail de Caroline Delieutraz apparaissent comme autant de véhicules, numériques et analogiques, de ces éléments mystérieusement hybrides que sont les données.
SANS TITRE (La Tour de Babel), 2013
Sans Titre (La Tour de Babel) est constituée de sept épaisseurs de puzzles superposés. Le premier puzzle représente La Tour de Babel peinte par Brueghel. Les pièces manquantes dévoilent les couches inférieures qui montrent certaines zones agrandies de l’image initiale.
Au premier abord, l’œuvre apparaît comme une énigme visuelle. Bien que l’image semble familière, elle n’est pas tout de suite accessible à la compréhension. La superposition des différents niveaux d’agrandissement crée une image composite, un « glitch analogique », évoquant les strates qui interviennent dans la construction d’un mythe.
Les sept niveaux d’agrandissement se réfèrent aussi à la tour de Babel elle-même qui est constituée de sept étages se dépliant jusqu’au ciel à la manière d’un télescope. Les nouveaux appareils de vision modifient nos représentations du monde. Ils offrent à la fois des vues d’ensemble (images satellites) et des vues extrêmement détaillées (haute définition, drone). Cette vision augmentée nous apporte-t-elle un moyen de mieux comprendre le monde ou au contraire induit-elle une illusion d’omniscience qui génère de la confusion ?
Oeuvre réalisée dans les ateliers Puzzle Michèle Wilson.
LES VAGUES, 2015
Les Vagues est composée de sept épaisseurs de puzzles superposés. Les pièces manquantes dévoilent les couches inférieures créant un collage en volume. Chaque strate qui compose la sculpture représente une image de vague ou de tourbillon : chefs-d’œuvre de l’histoire de l’art et photographies de banques d’images s’entremêlent. Les différents mouvements de l’eau s’assemblent en une seule et même représentation, confuse et fragmentaire.
Oeuvre réalisée dans les ateliers Puzzle Michèle Wilson.
KAMIL CRATER, 2018
Kamil Crater de Caroline Delieutraz propose un aller-retour entre le ciel et la terre d’un autre type. L’origine de son bas-relief remonte aux observations de la Terre sur Google Earth menées par un scientifique italien en 2010, qui découvrit un cratère de météorite dans le désert égyptien. Constitué de plusieurs couches de puzzles superposées, Kamil Crater offre un paysage composé d’images tirées de schémas scientifiques, de photographies satellites et amateurs qui, dans un volume en creux, forment elles-mêmes un cratère. Là où ces images devraient nous apporter précision et repères, il semble qu’au contraire, elles génèrent la confusion dans le mélange des genres, comme une Babel dont seule l’artiste pourrait nous présenter l’image unifiée.
Texte de Céline Flécheux